Ce billet est le deuxième d’une série dans laquelle j’explore l’histoire fascinante et tragique de la première banque de semences au monde et de son créateur héroïque. Je remercie le lecteur Michel Leblanc d’avoir partagé cette histoire avec moi et Jocelyne Lavigne pour son aide dans la traduction française.

Théories sur la diversité génétique
Au cours de ses expéditions, Vavilov a élaboré plusieurs théories importantes. La première s’intitule « La loi des séries homologues dans la variation ». S’exprimant lors du 3e congrès russe pour l’amélioration des plantes à Saratov, Vavilov s’est inspiré des travaux de Mendel et de Quetelet pour proposer que les espèces et les souches qui sont étroitement liés se caractérisent par une variabilité génétique comportant des séries homologues similaires. Par exemple, si les têtes de graines d’une espèce de blé présentent des ramifications et des épillets, on peut raisonnablement s’attendre à des traits similaires chez des espèces de céréales apparentées, comme le seigle. L’article qu’il a publié à ce sujet en 1922 a affiné cette théorie en deux parties : (a) des traits morphologiques similaires apparaissent dans différents groupes de plantes ; et (b) l’ensemble des traits constitue une série qui est propre à une variété particulière de plante.
Cette loi est toujours extrêmement importante pour la sélection des plantes et des animaux. En sachant que des traits génétiques et morphologiques similaires se trouvent chez des espèces apparentées, les sélectionneurs peuvent affiner la recherche de traits et des variantes souhaités.

Centres d’origine des plantes cultivées
À partir de 1926, Vavilov a formalisé ses observations sur l’origine des plantes. Il a proposé que les zones présentant la plus grande diversité d’une variété végétale et de ses parents sauvages indiquent les endroits où les humains ont commencé à cultiver ces plantes. Selon Vavilov, ces zones de première culture représentent les centres d’origine évolutive de certaines variétés de plantes. Le centre d’origine d’une variété particulière de blé, par exemple, serait l’endroit où existerait une diversité de parents génétiques – notamment des parents sauvages non domestiqués de cette variété. Contrairement aux théories précédentes sur ce sujet, Vavilov a utilisé des traits, tel le nombre de chromosomes dans les cellules des organismes d’une même espèce, pour caractériser et catégoriser la diversité génétique au sein des espèces.

Au départ, Vavilov a reconnu cinq centres d’origine (Asie du Sud-Ouest, Asie du Sud-Est, côte méditerranéenne, Amérique du Sud et Mexique), ainsi que plusieurs sous-centres. Par la suite, il a modifié sa théorie pour la transformer en sept centres d’origine primaires. Sa théorie a eu peu d’influence jusqu’à ce qu’elle soit traduite en anglais après la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, elle continué continue à influencer à la fois les spécialistes de l’agriculture et les personnes qui s’intéressent aux origines génétiques des plantes.
L’un des ouvrages les plus cités de Vavilov est intitulé The Origin, Variation, Immunity and Breeding of Cultivated Plants (Origine, variation, immunité et sélection des plantes cultivées), publié posthumément en anglais en 1951. Dans cet ouvrage, Vavilov soutient que la diversité des variétés végétales n’est pas uniformément répartie dans le monde et que les centres d’origine d’une espèce contiennent la plus grande diversité génétique liée à la variété d’origine. Cette théorie est aujourd’hui largement acceptée. Par exemple, Bryan Sykes s’est largement inspiré de cette théorie pour son best-seller « The Seven Daughters of Eve », qui explore l’ascendance génétique humaine.
La chute

En 1927, Trofim Denisovich Lysenko, un rival public de Vavilov, a été reconnu dans le journal national pour ses compétences en matière de sélection végétale. Vavilov a suivi les travaux de Lysenko, mais s’est vite rendu compte que ce dernier n’avait pas reçu une éducation scientifique formelle et qu’il ne connaissait pas les concepts génétiques modernes. Lysenko insistait sur le fait que si un organisme acquiert un nouveau caractère au cours de sa vie, cette qualité peut se transmettre directement à ses descendants. Si nous avons aujourd’hui une vision plus nuancée de l’héritabilité épigénétique, le point de vue de Lysenko n’était pas du tout nuancé et allait à l’encontre de la théorie darwinienne orthodoxe. Celui-ci a envoyé des milliards de plants de blé « contre-révolutionnaires » afin de les « rééduquer » en Sibérie. (Citation tirée de Homo Deus de Yuval Noah Harari, page 433.) Malheureusement, les plants de blé ont résisté à la rééducation, mais pas au froid. Ils sont morts pour la plupart et l’Union soviétique a été contrainte d’importer des quantités de plus en plus importantes de blé.
(En effet, un généticien allemand du XIXe siècle, August Weismann, a définitivement prouvé que les traits acquis ne deviennent pas héréditaires. Il a coupé la queue de 901 souris et de leur progéniture pendant cinq générations. Comme il l’avait prédit, aucune des générations successives n’est née sans queue, ni même avec une queue plus courte).
En dépit de ses balivernes scientifiques, les opinions de Lysenko ont trouvé faveur au sein des hauts rangs soviétiques car elles s’accordaient parfaitement avec les principes éducatifs communistes. L’un des grands principes de la théorie soviétique était que l’éducation triompherait toujours de la nature (génétique). Lysenko a fini par user de son influence pour devenir le chef de l’agriculture soviétique. Il a alors fait pression pour que la recherche et l’enseignement de la génétique soient interdits en Union soviétique. Il a déclaré que toute personne ne renonçant pas à cette science serait arrêtée et jetée en prison.

Déjà soupçonné pour ses origines bourgeoises, un jour en 1940, alors qu’il collectait des graines en Ukraine, des agents de la sécurité soviétique ont arrêté Vavilov et l’ont emmené au goulag. Même sa femme et ses enfants ne savaient pas exactement où il se retrouvait. Cette arrestation a fait trembler ses collègues du Bureau de botanique appliquée.
Les interrogateurs du goulag ont soumis Vavilov à des interrogatoires sans pitié, souvent pendant 12 heures d’affilée. Ils étaient déterminés à lui faire avouer le « crime » de ne pas conformer sa science à leur politique. Mais comme l’a souligné un historien, « Vavilov, contrairement à Galilée […], a refusé de répudier sa science. »
Furieux, les administrateurs du goulag ont tenté d’affamer Vavilov pour qu’il se soumette. Jour après jour, ils ne lui ont donné que de la purée de chou et de la farine moisie. L’homme qui avait goûté aux pommes sauvages du Kazakhstan, à l’orge sauvage d’Éthiopie et aux pommes de terre sauvages du Chili en était réduit à manger de très petites quantités de bouillie sans saveur. Ses muscles dépérissaient, ses joues s’affaissaient, des furoncles apparaissaient sur sa peau. Ayant travaillé pendant des décennies pour mettre fin à la famine, Vavilov alui-même succombé à la famine en janvier 1943 à l’âge de 55 ans.
L’histoire se poursuit dans notre prochain billet. En attendant, vous trouverez ci-dessous une liste de références pour une lecture plus approfondie. La version anglaise de ce billet se trouve ici.
Références
- Nikolai Vavilov
- The Tragedy of the World’s First SeedBank
- Nikolai Ivanovic Vavilov (1887-1943)
- The tragic tale of Nikolai Vavilov
- The Seeds of Life — Nikolai Ivanovich Vavilov and the Fight for the Centers of Origins of Plant Diversity and Food Security
- Vavilov Institute of Plant Industry
- Institute of Plant Industry
- Federal Research Center, N. I. Vavilov All-Russian Institute of Plant Genetic Resources (VIR), Ministry of science and higher education
- The Development of Botany in the Soviet Union by Slavomil Hejný
- Russian famine of 1921–1922
- The Law of Homologous Series in Variation by Professor N. I. Vavilov, Director of the Bureau of Applied Botany and Plant Breeding, Petrograd, Russia.
- Homologous Series, Law of
- Revisiting N.I. Vavilov’s “The Law of Homologous Series in Variation” (1922)
- Vavilov : Une banque de semences à Lyon pour préserver la biodiversité
- Beyond the Gardens: Millennium Seed Bank Partnership
- Impact: science et société, UNESCO Bibliothèque Numérique, pages 141 à 149
- Pavlovsk Experimental Station
- In Situ: The Priceless Plants of the Pavlovsk Experimental Station
- Seed banks: saving for the future
- Russia’s Vavilov institute, guardian of world’s lost plants
- CRBA L’institut Vavilov
- Russie : Campagne pour sauver la station expérimentale de Pavlovsk
- Une collection de 5000 variétés de petits fruits menacée de disparition en Russie à l’Institut Vavilov !
- Une oasis de la biodiversité menacée par les pelles mécaniques
- Russia launches inquiry into Pavlovsk seed bank after Twitter campaign
- Les végétaux du futur poussent à Charly
- In Situ: The Priceless Plants of the Pavlovsk Experimental Station