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Le cas étrange et tragique de l’homme semence soviétique (3ème partie)

Ce billet est le troisième d’une série dans laquelle j’explore l’histoire fascinante et tragique de la première banque de semences au monde et de son créateur héroïque. Je remercie le lecteur Michel Leblanc d’avoir partagé cette histoire avec moi, ainsi que Jocelyne Lavigne pour son aide dans la traduction française.

Près de 3 millions de personnes ont été prises au piège dans Leningrad pendant le siège. Seules 800 000 ont survécu. Tiré de TASS/Getty Images.

Le siège de Leningrad

Pendant ce temps, la situation était sombre au Bureau de Vavilov. En juin 1941, l’Allemagne nazie envahissa l’Union soviétique. Leningrad était l’une des principales cibles des Allemands, en partie à cause du Bureau de Vavilov. Les scientifiques nazis appréciaient le pouvoir de la génétique  à l’excès (Ils ont essentiellement commis l’erreur inverse de celle de Lysenko en soutenant que l’éducation et l’environnement ne comptaient pas et que les gènes seuls déterminaient notre destin.) Les nazis savaient que Vavilov avait rassemblé un trésor inestimable de richesses agricoles et ils voulaient s’en emparer!

Imaginez le moral du Bureau de Vavilov. Leur patron avait disparu et leur propre gouvernement les avait diabolisés et traités de traîtres pour leurs recherches. Alors que les nazis avançaient sur Leningrad, désireux de voler le travail de toute une vie, qui ne désespérerait pas ?

Les choses ont ensuite empiré. Le siège de Leningrad a duré  872 jours. Au lieu d’obus et des canons, l’arme principale des nazis a été la famine;  ce que Vavilov avait cherché à prévenir presque toute sa vie. Les nazis  ont tenté d’affamer les Russes pour qu’ils se soumettent.

Illustration par J. S. Lawson de poires sauvages collectées en Asie centrale, l’un des six panneaux que Vavilov a remis au pomologue Richard Wellington lors du Congrès international de génétique en 1932. Tiré de Biodiversity Heritage Library.

Les réserves diminuant, les habitants de Leningrad se sont mis à chasser les chiens et les chats; ils en furent réduits à manger du rouge à lèvres, des chapeaux de cuir et des manteaux de fourrure.

La seule nourriture de toute la ville se trouvait à l’intérieur du Bureau. Mais, chose incroyable, les scientifiques n’ont jamais puisé dans leurs réserves pour apaiser leur faim. Ils mouraient de faim alors qu’ils étaient entourés de nourriture – ils travaillaient avec de la nourriture, pensaient à la nourriture, touchaient de la nourriture tous les jours. Pourtant, aucun d’entre eux n’a jamais porté une bouchée à ses lèvres. Comme l’un d’entre eux l’a dit plus tard, « il était difficile de marcher. Il était insupportablement difficile de se lever le matin, [même] de bouger les mains et les pieds […] mais il n’était pas le moins du monde difficile de s’abstenir de manger la collecte. » Il ne s’agissait pas non plus d’une simple rhétorique. Un scientifique émacié est même mort à son bureau, un paquet de cacahuètes nutritives à la main.

Comment pouvaient-ils résister à une telle tentation ? Tout d’abord, ils pensaient au monde après la guerre. Ils savaient qu’ils pourraient aider les nations à se relever et à nourrir leur population, en particulier dans les endroits où les récoltes avaient été anéanties. Ils ont également envisagé l’histoire de l’humanité dans son ensemble. Depuis que les premiers agriculteurs ont planté des graines il y a environ 10 000 ans, il y a eu une chaîne ininterrompue de cultures à travers le temps. Les scientifiques du Bureau de Vavilov se considéraient comme les gardiens de cet héritage, sans doute le plus important de l’humanité. Manger les graines aurait été l’équivalent d’une rupture de cette chaîne.

Les scientifiques ont donc attendu, et ils sont morts l’un après l’autre. Un scientifique du riz, un scientifique de la pomme de terre, le scientifique de l’arachide qui tenait ce paquet, et six autres. Au total, 700 000 personnes sont mortes de faim à Leningrad pendant les 872 jours du siège. Mais il est difficile de trouver une mort plus poignante que celle de ces neuf scientifiques de l’alimentation.

Alors que les Américains connaissent une ou deux variétés de cacahuètes, les agriculteurs d’autres régions du monde ont pu développer des centaines de variétés grâce à la capacité naturelle de la cacahuète à mélanger ses deux sous-génomes distincts pour produire de nouvelles caractéristiques. Voici quelques-unes des arachides cultivées par le peuple Caiabí, qui vit sur l’île de Ilha Grande, dans le Mato Grosso, au Brésil. L’arachide est très importante pour eux et ils en cultivent diverses sortes, chacune ayant son utilisation, son nom et son histoire. (Photos de Fábio de Oliveira Freitas). Extrait d’un article paru sur UGA Today, University of Georgia.

L’histoire se poursuit dans notre prochain billet. En attendant, vous trouverez ci-dessous une liste de références pour une lecture plus approfondie. La version anglaise de ce billet se trouve ici.

Références

  1. Nikolai Vavilov
  2. The Tragedy of the World’s First SeedBank
  3. Nikolai Ivanovic Vavilov (1887-1943)
  4. The tragic tale of Nikolai Vavilov
  5. The Seeds of Life — Nikolai Ivanovich Vavilov and the Fight for the Centers of Origins of Plant Diversity and Food Security
  6. Vavilov Institute of Plant Industry
  7. Institute of Plant Industry
  8. Federal Research Center, N. I. Vavilov All-Russian Institute of Plant Genetic Resources (VIR), Ministry of science and higher education
  9. The Development of Botany in the Soviet Union by Slavomil Hejný
  10. Russian famine of 1921–1922
  11. The Law of Homologous Series in Variation by Professor N. I. Vavilov, Director of the Bureau of Applied Botany and Plant Breeding, Petrograd, Russia.
  12. Homologous Series, Law of
  13. Revisiting N.I. Vavilov’s “The Law of Homologous Series in Variation” (1922)
  14. Vavilov : Une banque de semences à Lyon pour préserver la biodiversité
  15. Beyond the Gardens: Millennium Seed Bank Partnership
  16. Impact: science et société, UNESCO Bibliothèque Numérique, pages 141 à 149
  17. Pavlovsk Experimental Station
  18. In Situ: The Priceless Plants of the Pavlovsk Experimental Station
  19. Seed banks: saving for the future
  20. Russia’s Vavilov institute, guardian of world’s lost plants
  21. CRBA L’institut Vavilov
  22. Russie : Campagne pour sauver la station expérimentale de Pavlovsk
  23. Une collection de 5000 variétés de petits fruits menacée de disparition en Russie à l’Institut Vavilov !
  24. Une oasis de la biodiversité menacée par les pelles mécaniques
  25. Russia launches inquiry into Pavlovsk seed bank after Twitter campaign
  26. Les végétaux du futur poussent à Charly
  27. In Situ: The Priceless Plants of the Pavlovsk Experimental Station
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The Strange & Tragic Case of the Soviet Seed Man (Part 3)

This is the third of several posts wherein I explore the fascinating and tragic story of the world’s first seed bank and its heroic creator. My thanks to reader Michel Leblanc for sharing this story with me.

Nearly 3 million people were trapped in Leningrad during the siege. Only 800,000 survived. From TASS/Getty Images.

The Siege of Leningrad

Meanwhile, things were grim back at the Bureau. In June 1941, Nazi Germany invaded the Soviet Union. Leningrad was a major target of the Germans—in part because of Vavilov’s bureau. Nazi scientists appreciated the power of genetics – to a fault. (They essentially committed the opposite error of Lysenko in arguing that nurturing and environment counted for nothing and genes alone determine our fate.) The Nazis knew that Vavilov had gathered a priceless trove of agricultural riches and they wanted it!

Imagine the morale at the Bureau. Their boss had already been disappeared, and their own government had demonized them and called them traitors for their research. With Nazis marching on Leningrad, eager to steal their life’s work, who wouldn’t despair?

Then things got worse. The Siege of Leningrad dragged on for nearly 900 days. Instead of shells and guns, the Nazi’s main weapon was the very thing Vavilov had worked his whole life to prevent—famine. They tried to starve the Russians into submission.

Illustration by J. S. Lawson of wild pears collected in central Asia, one of six panels Vavilov gave to pomologist Richard Wellington at the International Genetics Congress in 1932. From Biodiversity Heritage Library.

As supplies dwindled, Leningrad’s residents started hunting dogs and cats. Soon they were reduced to eating lipstick, leather hats, and fur coats.

The only food in the whole city lay inside the Bureau. Incredibly, though, the scientists there never dipped into their stores to ease their hunger pangs. They were starving while surrounded by food—they worked with food, thought about food, touched food every day. Yet none of them ever put a morsel to their lips. As one later said, “It was hard to walk. It was unbearably hard to get up in the morning, [even] to move your hands and feet . . . but it was not in the least difficult to refrain from eating up the collection.” This wasn’t just stirring rhetoric, either. One emaciated scientist actually died at his desk, holding a packet of nutritious peanuts in his hand.

While Americans are familiar with one or two varieties of peanut, farmers in other parts of the world have been able to develop hundreds of varieties thanks to the peanut’s natural ability to shuffle its two distinct subgenomes to produce new traits. These are some of the peanuts grown by the Caiabí people who live on the Ilha Grande, Mato Grosso, Brazil. Peanut is very important for them and they cultivate diverse types, each one with its use, name and story. (Photos by Fábio de Oliveira Freitas). From an article on UGA Today, University of Georgia.

How could they fight off such temptation? First, they were thinking about the world after the war. They knew they would be able to help nations to get back on their feet and feed their people, especially in places where crops had been wiped out. They were also looking at the broader sweep of human history. Ever since the first farmers planted seeds some 10,000 years ago, there’s been an unbroken chain of crop plantings through time. The bureau scientists saw themselves as stewards of this heritage—arguably the most important heritage of humankind. Eating the seeds would have been tantamount to snapping that chain.

So the scientists waited, and they gradually died. A rice scientist, a potato scientist, the peanut scientist clutching that packet, and six more. In all, 700,000 people starved in Leningrad during the 872-day siege. But it’s hard to find any deaths more poignant than those nine food scientists.

The story continues in our next post. Meantime, please find below a list of references for more reading.

References

  1. Nikolai Vavilov
  2. The Tragedy of the World’s First SeedBank
  3. Nikolai Ivanovic Vavilov (1887-1943)
  4. The tragic tale of Nikolai Vavilov
  5. The Seeds of Life — Nikolai Ivanovich Vavilov and the Fight for the Centers of Origins of Plant Diversity and Food Security
  6. Vavilov Institute of Plant Industry
  7. Institute of Plant Industry
  8. Federal Research Center, N. I. Vavilov All-Russian Institute of Plant Genetic Resources (VIR), Ministry of science and higher education
  9. The Development of Botany in the Soviet Union by Slavomil Hejný
  10. Russian famine of 1921–1922
  11. The Law of Homologous Series in Variation by Professor N. I. Vavilov, Director of the Bureau of Applied Botany and Plant Breeding, Petrograd, Russia.
  12. Homologous Series, Law of
  13. Revisiting N.I. Vavilov’s “The Law of Homologous Series in Variation” (1922)
  14. Vavilov : Une banque de semences à Lyon pour préserver la biodiversité
  15. Beyond the Gardens: Millennium Seed Bank Partnership
  16. Impact: science et société, UNESCO Bibliothèque Numérique, pages 141 à 149
  17. Pavlovsk Experimental Station
  18. In Situ: The Priceless Plants of the Pavlovsk Experimental Station
  19. Seed banks: saving for the future
  20. Russia’s Vavilov institute, guardian of world’s lost plants
  21. CRBA L’institut Vavilov
  22. Russie : Campagne pour sauver la station expérimentale de Pavlovsk
  23. Une collection de 5000 variétés de petits fruits menacée de disparition en Russie à l’Institut Vavilov !
  24. Une oasis de la biodiversité menacée par les pelles mécaniques
  25. Russia launches inquiry into Pavlovsk seed bank after Twitter campaign
  26. Les végétaux du futur poussent à Charly
  27. In Situ: The Priceless Plants of the Pavlovsk Experimental Station