Cet article est le quatrième et dernier d’une série de billets dans lesquels j’explore l’histoire fascinante et tragique de la première banque de semences au monde et de son créateur héroïque. Je remercie le lecteur Michel Leblanc d’avoir partagé cette histoire avec moi et Jocelyne Lavigne pour son aide dans la traduction française.
Réhabilitation posthume
Aujourd’hui, Vavilov est vénéré comme un héros en Russie, du moins par la plupart des gens. Malgré ses hauts et ses bas, son bureau existe toujours, rebaptisé Institut panrusse de recherche scientifique sur les ressources phytogénétiques N.I. Vavilov (VIR en russe).. Des scientifiques du monde entier ont adopté la vision de Vavilov selon laquelle la biodiversité génétique est la clé d’un avenir alimentaire sain. Cette vision a mené à la création de réserves agricoles encore plus importantes et plus sophistiquées, telles que la chambre forte de semences dite “de l’apocalypse” à Svalbard, en Norvège. Le VIR a fait don de semences et d’autres spécimens à Svalbard, dont beaucoup remontent probablement aux premiers voyages de collecte de Vavilov.

Suite de l’histoire
La passion qui a animé les scientifiques du Bureau de Vavilov pendant le siège de Leningrad perdure aujourd’hui. L’une des expéditions de collecte de semences les plus productives et les plus passionnantes de Vavilov l’a conduit en 1929 en Asie centrale et sur le territoire occupé aujourd’hui par le Kazakhstan. Dans les terres biodiversifiées autour d’Alma Ata et des contreforts des monts Tien Shan, il a découvert la plus riche concentration d’arbres fruitiers au monde, notamment des pruniers, des pêchers et des abricotiers, mais surtout des pommiers à profusion. Rétrospectivement, cette découverte confirme sa théorie sur l’origine des espèces cultivées.

La station expérimentale de Pavlovsk
Une grande partie des graines récoltées par Vavilov au cours de cette expédition de 1929 ont été plantées et cultivées à la station expérimentale de Pavlovsk, située juste au sud de Leningrad, aujourd’hui Saint-Pétersbourg.
Lorsque les nazis ont envahi l’URSS et que les lignes de front de la guerre se sont rapprochées de Pavlovsk, les collègues, assistants et étudiants de Vavilov ont transféré la plus grande partie possible de la collection de la station de Pavlovsk dans les sous-sols de l’Institut de l’industrie végétale, au centre de Leningrad. C’est là qu’ils ont sauvegardé les collections au long du siège.

Ironiquement, après avoir survécu aux nazis, à la Seconde Guerre mondiale et à la chute de son créateur, la station expérimentale de Pavlovsk est tombée en ruine avec la chute de l’empire soviétique. Au début des années 2000, elle a failli devenir la proie de promoteurs immobiliers. Une campagne internationale passionnée sur Twitter a permis au président russe de l’époque, Dmitry Medvedev, de suspendre l’exécution du projet. Selon une brève entrée dans Wikipédia, en avril 2012, le gouvernement russe a pris des mesures officielles pour préserver cet important dépôt génétique et empêcher que les terres ne soient cédées à des intérêts privés en vue d’un développement.
La passion pour la protection de ce précieux héritage vient de son caractère unique. Plus de 90 % des plantes ne se trouvent dans aucune autre collection de recherche ni banque de semences. On pense que ses graines et ses baies possèdent des caractéristiques qui pourraient être cruciales pour maintenir des récoltes fruitières productives dans de nombreuses régions du monde, alors que le changement climatique et une vague croissante de maladies, de parasites et de sécheresse affaiblissent les variétés que les agriculteurs cultivent aujourd’hui. Selon les militants de la station, plus de 5 000 variétés de graines et de baies provenant de dizaines de pays, dont plus de 100 variétés de groseilles à maquereau et de framboises, sont en jeu. Les recherches effectuées sur Google pour trouver des informations relatives à la station de Pavlovsk n’ont donné aucun résultat nouveau.

L’héritage
Les banques de semences du monde entier continuent de bénéficier des collections de Vavilov. En France, l’antenne lyonnaise du conservatoire de semences Vavilov a été financée par l’Union européenne pour cultiver un millier de fruits, une centaine de variétés de légumes, de céréales et d’herbes aromatiques, dont certaines ont près de cinq siècles. Plus de 300 variétés lyonnaises, rarement cultivées aujourd’hui, ont été découvertes dans la banque de semences Vavilov de Saint-Pétersbourg et reviendront ainsi à la vie.
Alors que l’agriculture moderne et marchandisée continue d’être menacée par le changement climatique, les semences que Vavilov a collectées et que son personnel a sauvegardées pourraient bien être la clé de notre sécurité alimentaire future.
La liste de ressources ci-dessous fournit de plus amples informations. La version anglaise de ce billet est disponible ici.
Références
- Nikolai Vavilov
- The Tragedy of the World’s First SeedBank
- Nikolai Ivanovic Vavilov (1887-1943)
- The tragic tale of Nikolai Vavilov
- The Seeds of Life — Nikolai Ivanovich Vavilov and the Fight for the Centers of Origins of Plant Diversity and Food Security
- Vavilov Institute of Plant Industry
- Institute of Plant Industry
- Federal Research Center, N. I. Vavilov All-Russian Institute of Plant Genetic Resources (VIR), Ministry of science and higher education
- The Development of Botany in the Soviet Union by Slavomil Hejný
- Russian famine of 1921–1922
- The Law of Homologous Series in Variation by Professor N. I. Vavilov, Director of the Bureau of Applied Botany and Plant Breeding, Petrograd, Russia.
- Homologous Series, Law of
- Revisiting N.I. Vavilov’s “The Law of Homologous Series in Variation” (1922)
- Vavilov : Une banque de semences à Lyon pour préserver la biodiversité
- Beyond the Gardens: Millennium Seed Bank Partnership
- Impact: science et société, UNESCO Bibliothèque Numérique, pages 141 à 149
- Pavlovsk Experimental Station
- In Situ: The Priceless Plants of the Pavlovsk Experimental Station
- Seed banks: saving for the future
- Russia’s Vavilov institute, guardian of world’s lost plants
- CRBA L’institut Vavilov
- Russie : Campagne pour sauver la station expérimentale de Pavlovsk
- Une collection de 5000 variétés de petits fruits menacée de disparition en Russie à l’Institut Vavilov !
- Une oasis de la biodiversité menacée par les pelles mécaniques
- Russia launches inquiry into Pavlovsk seed bank after Twitter campaign
- Les végétaux du futur poussent à Charly
- In Situ: The Priceless Plants of the Pavlovsk Experimental Station